L’administration fédérale a terminé ses sondages auprès des représentants de l’UE concernant les négociations prévues entre la Suisse et l’UE. Lors de ces entretiens, elle a accepté le démantèlement de la protection des salaires, la libéralisation du marché de l’électricité et l’ouverture du trafic ferroviaire international de voyageurs – à la consternation de l’Union syndicale suisse et de Travail.Suisse. Lors d’une conférence de presse tenue aujourd’hui à Berne, ces derniers ont mis en évidence les conséquences importantes de ces concessions pour les travailleurs et travailleuses et pour le service public. Le président du SEV Matthias Hartwich a analysé les dangers pour les transports publics.
Les négociations déjà finies ?
Ce que le SEV craignait pourrait bien se produire si le Conseil fédéral ne fait pas massivement contrepoids : Lors des négociations Suisse-UE, le modèle de coopération dans le trafic voyageurs international (TVI) risque fortement d’être sacrifié, entre autres pour éviter des mesures de rétorsion de la part de l’UE en matière d’admission de véhicules ferroviaires et pour faire bonne figure à Bruxelles en vue de concessions envers la Suisse dans d’autres domaines. Lors des entretiens exploratoires, l’Office fédéral des transports (OFT) a évoqué l’ouverture du TVI à la concurrence comme une concession possible de la Suisse et minimise les dangers et les inconvénients. Mercredi prochain, le Conseil fédéral pourrait intégrer cette grave concession dans son mandat de négociation sans qu’il y ait eu une discussion politique approfondie du sujet en Suisse. Il pourrait même accepter cette concession par avance comme résultat partiel des négociations avec l’UE, au lieu de s’y opposer vis-à-vis de l’UE, comme le personnel ferroviaire l’attend de lui. L’Union syndicale suisse a reçu des signaux clairs en ce sens de la part de l’administration fédérale. Sur ce point, les négociations seraient donc déjà terminées – à un niveau subalterne.
Pourtant, le Conseil fédéral n’a pas la compétence pour faire une concession aussi grave. Car le Parlement l’a expressément chargé, au printemps 2019, en adoptant la motion 18.4105 « Modèle des coopérations au lieu de la libéralisation du trafic ferroviaire international de voyageurs », de ne pas décider de sa propre compétence d’une éventuelle ouverture du TVI, mais de la soumettre préalablement au Parlement. Ceci après que le même directeur de l’OFT, aveuglé par les prétendues vertus de la concurrence, ait déjà voulu à l’époque imposer l’ouverture du TVI en passant outre le Parlement, comme il tente à nouveau de le faire aujourd’hui.
En juin 2021, le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion, dans son rapport sur l’organisation future du marché en trafic à longue distances, que la Suisse devait continuer à miser sur la coopération éprouvée dans le TVI, en citant de bonnes raisons : « risques qualitatifs liés à l’accès d’ETF européennes, augmentation des conflits de sillons, difficultés d’application des normes sociales au personnel en service international, cabotage compromettant le transport ferroviaire national » ainsi qu’un faible impact en raison de la coopération qui continue à prévaloir entre les pays de l’UE. Ce rapport est encore aujourd’hui contraignant pour la position suisse en matière de TVI. Et maintenant, cette position devrait soudainement être jetée par-dessus bord sans discussion politique dans notre pays, parce que la Commission européenne fait pression pour imposer son idéologie de la concurrence? Et parce que ces idées sont partagées par la direction de l’OFT?
Pour le SEV, il est clair que cela est inacceptable non seulement sur la forme (respect des décisions démocratiques), mais aussi et surtout sur le fond, car nuisible au bon fonctionnement du système des transports publics en Suisse et au personnel des transports publics.
Intervention de Matthias Hartwich lors de la conférence de presse
Avancé la vidéo à la 38ème minutes. La version écrite en français ci-dessous.
Version écrite :
Le système de transports publics de Suisse est un modèle à succès. Jour après jour, des millions de personnes utilisent dans notre pays les transports publics pour se rendre au travail, pour faire les commissions ou pour les loisirs. De plus, un très grand nombre de marchandises sont transportées efficacement et écologiquement par le rail, en trafic intérieur ou de transit. Nos voisins nous envient ce système de qualité qui fonctionne très bien. Toute l’Europe observe et apprécie les transports publics de Suisse. Les personnes et les marchandises parviennent à destination de manière sûre, ponctuelle et écologique, et nous pouvons en être fiers. Il n’y a dès lors aucune raison de remettre en question ce système, même pas lors d’éventuelles discussions avec la commission européenne. Les principaux éléments qui font du système suisse un système à succès sont :
- L’intégration tarifaire et l’horaire cadencé : les voyageuses et les voyageurs peuvent parvenir du point A au point B de manière fiable et ponctuelle avec un billet valable dans tous les systèmes de transport. C’est aussi de cette manière que fonctionne l’abonnement général. Nous avons à disposition un instrument de contrôle performant et éprouvé, l’Alliance SwissPass. L’horaire cadencé permet de surcroît d’éviter les disputes pour occuper les sillons. Ce système doit être poursuivi.
- La coopération au lieu de la concurrence : la libéralisation imposée dans le secteur ferroviaire dans certaines parties de l’Europe a souvent amené une moins bonne offre, de plus mauvaises conditions de travail pour le personnel, un manque de ponctualité et de fiabilité. Nous voulons conserver à l’avenir encore des chemins de fer fiables en Suisse, pour le transport des voyageurs et des marchandises. Ceci est nécessaire pour obtenir un transfert du trafic de la route au rail. En Europe, c’est justement le contraire qui est en train de se passer. Ainsi la SNCF en France et la DB en Allemagne sont critiquées pour des subventions accordées au rail dans le trafic marchandises qui, soi-disant, causeraient des distorsions de marché. Résultat : le trafic marchandises s’en va de plus en plus du rail vers la route.
- En Suisse, les transports publics font partie du service public : que ce soit pour les personnes ou les marchandises, les transports publics relient la Suisse et veillent à un fonctionnement optimal au quotidien. Grâce aux transports publics, la grand-maman du fin fond d’une vallée peut rendre visite de manière autonome à ses petits-enfants à Zurich. Ceci est un acquis auquel nous ne devons en aucun cas renoncer. Dans beaucoup de régions périphériques d’Europe, des prestations auparavant étatisées ou subventionnées par l’Etat ont disparu suite à la libéralisation et à la politique de concurrence, et elles n’ont pas été remplacées par des prestations privées car elles ne sont pas suffisamment rentables. La concurrence – et le dumping – sur les itinéraires rentables, qui sont ainsi perdus pour les chemins de fer nationaux, a pour conséquence une perte des subventions croisées pour les lignes secondaires, ce qui signifie des suppressions si les pouvoirs publics n’interviennent pas.
- Des transports publics qui fonctionnent ont besoin d’un personnel motivé et qualifié : pour cela on doit avoir des CCT avec des conditions de travail bien réglées pour le personnel des différentes entreprises (en particulier les entreprises de transport ferroviaires). Des rapports de travail réglés par des CCT permettent d’avoir du personnel motivé et qualifié, et garantissent sécurité et fiabilité. De tels rapports renforcent l’identification avec l’entreprise. Ceci, nous l’avons aujourd’hui. Nous ne devons pas le mettre en péril ! Les réglementations européennes actuelles ne suffisent pas à garantir de bonnes conditions de travail. En particulier, si l’on considère les mesures d’accompagnement, la protection salariale ne fonctionne pas dans le secteur des transports publics car il n’existe pas de CCT étendue. Les salaires suisses sur le rail suisse, dans les bus et les trains suisses, égal d’où vient le personnel : c’est le principe que nous devons défendre et conserver ! En clair : nous voulons une vraie protection salariale, nous en avons besoin, pour conserver le personnel qualifié dans ce secteur.
Les citoyens et le Parlement suisses ont exprimé clairement que la Suisse voulait maintenir le système de transports publics actuel. Ces personnes ne veulent pas d’une situation telle que celle de l’Allemagne. C’est pourquoi elles rejettent l’idée d’une libéralisation dans les transports publics prônée par une partie de la commission européenne. Elles ne veulent pas d’un démantèlement du service public. Une détérioration du système suisse de transports publics pour obtenir un accord avec la commission européenne n’entre pas en ligne de compte pour le SEV.
Notre position est la suivante : nous ne sommes pas contre l’Europe ; nous sommes pour un système de transports publics fiable, performant et efficace, en Suisse et en Europe. Nous prêterons main forte pour cela. Mais nous n’adhérons pas à une libéralisation et une privatisation absurdes, ni à une concurrence déloyale, ni au dumping salarial et social.
Les transports publics suisses sont exemplaires et doivent le rester, aussi à l’intérieur de l’Europe.